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mercredi, 24 avril 2013

César doit mourir - Cesare deve morire

Vu ce soir alors que c'est sorti depuis un bail vu que ça a gagné l'ours d'or de la Berlinale de Berlin (qui l'eut cru? La Berlinale de Lausanne, ce serait un chouia plus original) sous Mike Leigh comme président du jury en février 2012! Mais bon, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a.

Alors déjà, particularité, ce film est signé par deux frères. Les frères Taviani. Qui réalisent toujours en duo. Et qui ont 81 et 83 ans! Une longue carrière quoi.

Ensuite il s'agit d'un docu-fiction.

Ça tourne autour d'un projet théâtral : faire jouer du Shakespeare aux détenus du quartier haute sécurité d'une prison italienne, la Rebibbia. Les frèrots ayant assisté à une représentation, ils ont eu l'idée de partir de ce concept pour montrer une sorte de parallèle entre la vie de comédiens des détenus et leur vie purement carcérale.

Le film commence sur le final de Jules César. Juste après la bataille entre les pro-Jules et les rebelles, dirigés par Brutus (Tu quoque, mi fili) et Cassius. Brutus veut mourir et demande donc à ses compagnons de l'achever. Il a du mal a trouver un volontaire. Applaudissements, ovation de bout puis retour au bercail. Brutus, Cassius, César retournent loin des hourras, dans leurs petites cellules.

On remonte 6 mois plus tôt. Lancement du projet.

On passe en noir et blanc.

Les auditions. On demande à chaque candidat de jouer la même scène de 2 manières différentes. Il s'agit de décliner son identité, son adresse, les noms de ses parents comme dans une situation de grande détresse, en pleurant, avec leur femme apeurée qui les attend et ensuite de répéter la même chose mais en étant fâché, voire très fâché. Et là, on voit clairement que certains ont des prédispositions. Sans compter des gueules de cinéma réunies comme on en voit trop rarement. Et du vécu qu'on sent "un peu". Et étrangement, ça se voit autant dans la colère que dans les pleurs déchirants...

Une fois les auditions terminées, on distribue les rôles principaux. Accessoirement on apprend que les têtes d'affiche sont en tôle pour des peines de 15 ans à perpète, pour "divers crimes", association mafieuse, trafic de stupéfiants et même un meurtre dans le cas du futur Cassius. Ils sont nés entre 1938 et 1990. 

Début des répétitions.

Le tout début est un peu hésitant, on cherche ses marques, le devin de service demande au metteur en scène, Fabio, s'il peut jouer comme le devin de son village, un peu fêlé. Permission accordée. Le metteur ebn scène demande l'utilisation des accents locaux. Enfin un peu mais pas trop. Et qu'est-ce qu'on fait quand on en a pas? Bref, on se cherche  un peu mais on sent déjà une sorte de certitude tranquille irradier du jeu de certains, notamment Brutus.

On assiste ensuite en accéléré au travail des 6 mois de préparation. Et c'est là que je me suis vraiment demandée quelle était la part de "docu" et de "fiction" dans l'affaire. Le jeu est si assuré, intense, prenant. Il s'agit de déclamer du Shakespeare tout de même, pas forcément évident même pour des comédiens formés.

Non seulement le "métier" des têtes d'affiche et des autres est sidérant mais l'utilisation de la prison elle même et ses différents lieux est franchement grandiose. Plus ça va, plus s'efface la frontière entre la vraie vie et la scène vu qu'elles partagent les mêmes lieux. La prison devient personnage, à la hauteur de ses résidants. Les couloirs, les lieux de promenade ressortent admirablement bien avec des perspectives étouffantes que le noir et blanc met dramatiquement en valeur à mesure que la rébellion s'apprête à rétablir la démocration en zigouillant Jules C. La foule des prisonniers anonymes sert de clameur de la ville, changeante, manipulable par un beau parleur et prompte à porter aux nues et jeter aux orties d'un instant à l'autre. Du pain et des jeux comme on dit. Ou "du pain et du jeu" pour nos comédiens en herbe.

Le drame se noue, se déroule inexplorablement, absorbant la "vraie" vie carcérale, apaisant les tensions entre détenus tout en faisant sans doute écho au passé de certains, meurtres, trahison, loyauté, que ce soit par intérêt pour la démocratie ou pour soi même... César est assassiné, Cassius triomphe, Brutus est torturé, Antoine joue double jeu.

On aurait presque cru qu'il ne s'agissait que de pros jouant le rôle de détenus se lançant dans l'aventure théâtrale si on assitait pas à un dialogue étrangement mal joué par 3 gardiens (vrais gardiens ou prisonniers jouant le rôle du cerbère?) qui se demandent s'ils doivent faire rentrer tout ce beau monde au bercail ou attendre la suite et voir si Antoine est un faux cul ou pas...

Assaut final et retour à la couleur et sur une vraie scène avec des décors et des colonnes de carton pâte bien pâles après les murs, les couloirs et les grilles de la Rebibbia.

On revient au tout début. Bataille, mort de Brutus, applaudissements, cellules. On y suit Cassius qui marque une pause avant de nous dire droit dans les yeux (et là on voit que c'est pas du pure documentaire non plus) "depuis que j'ai découvert l'art, ma cellule est devenue une prison"! Paf, KO technique du spectateur enfin de moi quoi, scotchée!

Le générique nous donne 2-3 infos sur nos stars et notamment Brutus, gracié puis devenu comédien. En faisant 2-3 recherches, on apprend qu'il, enfin Salvatore Striano, a en fait été gracié quelques années auparavant de cette même prison après y avoir expérimenté le thâtre. Devenu acteur (va falloir que je reregarde Gomorra, même si ce film est profondément déprimant (sauf si on est un mafieux en haut de l'échelle peut-être)), il y est retourné pour les besoins du film. Alors en effet, docu ou fiction, la frontière est plus que floue...

Bref, j'ai beaucoup aimé, même qu'on me balade pas tout à fait honnêtement. Vraiment pas pire que les Loft Story de ce monde sur ce plan ;-)